« Comme vous le savez, en Afghanistan se déroule une guerre interminable. Beaucoup de citoyens afghans ont quitté leur pays pour migrer vers d’autres pays. Cette longue guerre qui semble éternelle m’a poussé à quitter mon pays. Moi aussi.
J’ai toujours connu la guerre. Je suis né et j’ai grandi avec. C’était comme une habitude. J’ai toujours su qu’il y avait une guerre ailleurs dans le pays, mais je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse me toucher. Jusqu’au jour où elle a frappé à ma porte. A ce moment là, j’ai fait partie de ceux que la guerre avait rattrapés. C’est pourquoi j’ai décidé de tout quitter et de partir.
J’ai d’abord habité en Angleterre où j’ai appris à connaître l’Europe. Quand je suis arrivé en France, je parlais l’anglais mais je ne parlais pas un seul mot de français. Et malheureusement, je trouve que les français ne parlent pas beaucoup anglais. Même en parlant un bon anglais, il m’était très difficile de me faire comprendre et de dialoguer. Personne ne me parlait.
Ce fut une période très difficile pour moi. Je réfléchissais tout le temps. Une question notamment tournait souvent dans ma tête : Est-ce que les Français ont un problème avec l’anglais ? Ou bien est-ce qu’ils refusent de parler une autre langue que le français ? J’en déduisais que cela pouvait devenir un vrai problème car les nouveaux réfugiés risquaient de penser que les Français sont racistes et se mettraient à détester ce pays et ses habitants. Cette expérience m’a tellement marqué que si quelqu’un me demande de parler anglais, dans la rue ou ailleurs, je ne refuse jamais.
Je le sais. Un jour. Demain peut-être. Je serais citoyen français.
Malgré cette pensée, je me sentais triste et malheureux. Après avoir quitté l’Afghanistan plus jeune, j’ai aussi dû quitter l’Angleterre. Et chaque adieu est une déchirure. Il faut se reconstruire, à chaque fois.
Les choses en France sont bien différentes de mon pays, l’Afghanistan. Une seule chose reste la même : la Lune. Je parle à la Lune grâce à laquelle je peux souvent, la nuit, voir ma famille. Elle remplit quelquefois mon besoin de vivre en communauté, près des miens. J’ai besoin de toi, Lune, mais je ne peux pas te voir tous les soirs. Tu es comme moi, tu as beaucoup de rendez-vous avec les nuages.
Grâce à mon expérience en Angleterre et un long voyage, je connaissais déjà l’Europe quand je suis arrivé en France. Je savais bien qu’ici tout n’était pas facile et automatique… Pour avoir une vie normale et trouver du travail, j’avais absolument besoin d’apprendre le français. Des associations qui se nommaient « apprentissage de la langue française » s’installaient comme des boutiques dans Paris, un vrai business. Chaque association avait ses propres règles et méthodes. Mais malheureusement je ne pouvais m’inscrire dans aucune d’entre elles car je n’avais pas encore mon récépissé « constatant la reconnaissance d’une protection internationale ». La Préfecture me l’a d’abord refusé car j’étais « DUBLIN »*.
Je souhaitais profondément apprendre le français mais on m’en refusait continuellement l’accès. C’est comme quand quelqu’un a faim et entre sans argent dans différents magasins : tout le monde le regarde mais le refuse pour finalement le laisser mourir de faim.
Voilà pourquoi beaucoup de réfugiés préfèrent rester à Calais car ils savent que la situation est très difficile en France.
Peu importe, je voulais à tout prix apprendre le français. Un jour, j’ai finalement trouvé Français Langue d’Accueil chez qui j’ai pu m’inscrire sans avoir besoin de récépissé. Ils m’ont accepté pour étudier le français avec eux.
Le problème est que j’avais besoin de tickets de métro pour me rendre aux cours mais je n’avais pas d’argent. Alors je fus obligé de frauder. Je passais derrière ceux qui avaient l’air gentil. Je me sentais honteux, avec tous ces yeux suspicieux rivés sur moi. Personne ne comprenait ma situation : réfugié, sans argent, sans pass Navigo et ne parlant même pas le français.
Un jour, alors que je me rendais au cours de français de F.L.A., j’ai vu un homme dans le métro. Il était grand, avec une barbe sale et rouge, des vêtements déchirés, il criait : « S’il vous plait, donnez-moi un ticket restaurant ou 1 euro pour manger. Je suis à la rue depuis longtemps. » Moi-même, j’ai eu de nombreux problèmes dans ma vie, c’est pourquoi ce genre de situation me touche beaucoup. Mais la plupart des gens le regardaient d’une façon normale, sans compassion. Comme si c’était habituel. Ils étaient en train de lire et personne ne levait la tête, ne serait-ce que pour le regarder.
Il me semble que lorsque des personnes aiment lire, c’est parce qu’elles ont envie d’en apprendre davantage sur l’humain. Mais quand une personne en face d’elles est en danger et supplie pour qu’on l’aide, aucune ne lève les yeux. Alors, je me suis dis : « Que peuvent bien lire ces personnes qui puisse leur en apprendre plus sur l’humain que cet homme qui se tient en face d’elles ? »
A cause de la guerre en Afghanistan, je n’ai jamais pu finir mes études. Cela m’a rendu triste sur le moment. Mais j’ai réalisé ce jour là que ce n’était pas si grave car j’étais la seule personne dans le wagon à pouvoir comprendre cet homme. Si j’avais pu terminer mes études, peut-être aurais-je fait partie de ces personnes qui lisent, dans un autre monde, ne prêtant pas la moindre attention à ce monsieur.
Quand dans la rue je vois toutes ces personne assises et qui dorment dehors par terre, sur un sol mouillé et froid, je remarque que les passants ne s’arrêtent pas. Ils ne les voient même plus. Tout le monde connait Paris pour sa Tour Eiffel, son beau Musée du Louvre, sa vieille cathédrale Notre Dame ou sa fameuse avenue des Champs Elysées. Mais personne ne connait cette face cachée de la capitale, celle de ceux qui dorment dehors, par milliers toute l’année. Moi je pense souvent à eux.
J’ai passé un peu plus d’un an en tant qu’étudiant à F.L.A. C’est là qu’un jour Christophe, le coordinateur de l’insertion professionnelle, m’a parlé des Enfants du Canal* et m’a dit qu’ils offraient des emplois. J’ai été intéressé. Christophe a envoyé mon CV. Et l’association m’a embauché.
Aujourd’hui je suis salarié. Initialement, je pensais que les Enfants du Canal s’occupaient des réfugiés ; mais, quand j’ai commencé à travailler, j’ai rencontré ces personnes que je voyais tous les jours dans la rue. Leur condition m’a profondément touché, leurs expériences douloureuses… Beaucoup étaient malades et avaient besoin d’aide. Ils parlaient de problèmes réels…
Les personnes qui lisent des livres parlent souvent beaucoup de politique. Moi, je ne connais pas grand chose à la politique, à part le nom de Marine Le Pen. Mais je me dis qu’il pourrait arriver qu’un jour ces personnes « chics » se retrouvent elles aussi dans la rue, avec leur livre posé à côté d’elles.
Ce n’est ni une question de gauche ni de droite mais j’aimerais tellement que quelqu’un puisse enfin influencer nos pensées, notre mentalité et notre regard sur les choses dans le bon sens. Je voudrais qu’il y ait enfin quelqu’un qui pense à toutes ces personnes qui vivent dans la rue. Pour que ça n’existe plus. La vie est trop belle pour être gâchée par la pauvreté et la rue. »
Musa
Musa est un travailleur pair de l’association qui réalise des maraudes chaque jour. Il témoignage de son expérience en France.