Le portable a modifié le quotidien des personnes à la rue, pour le meilleur comme pour le pire. Maîtriser l’outil, le maintenir rechargé et le guetter sont autant de nouvelles contraintes. En contrepartie, le terminal offre de nouvelles manières de s’informer et se divertir.
« Le téléphone mobile c’est un mode de survie au quotidien en recherche d’énergie »explique Clément Etienne dans son bureau, à l’étage du BusAbri. Depuis 7 ans le travailleur social accueille des personnes en situation de grande précarité. Le portable est devenu un objet du quotidien pour eux, un peu comme tout un chacun. Entre dépendance et divertissement, ce petit rectangle est devenu une obsession. Dans ce bus à l’impérial, les sans abris viennent, aussi, pour le recharger. Jeudi 30 mars, il est un peu plus de 8h, le soleil est au rendez-vous, mais pas le groupe électrogène qui alimente le centre mobile stationné à rue Froidevaux. A deux pas la place Denfert-Rochereau, dans le XIVe arrondissement de Paris, le temps est suspendu. Pas de café, pas de recharge possibles tant que le problème n’est pas réparé. Au milieu du bus, Yvon, 62 ans, dont deux sans domicile, se contente d’un thé en lisant les nouvelles du 20 minutes du jour. “Le thé c’est vraiment pas mon truc”soupire-t-il. Le téléphone mobile non plus. “Le tactile j’y arrive pas”. Le sexagénaire n’en possède plus depuis qu’il vit dans la rue. Avant son employeur lui en fournissait un.
La facture numérique est une barrière à l’usage
Pour Yvon, ce serait quasiment une obligation d’en avoir un. Maintenant c’est trop cher et trop compliqué pour lui. Il a pourtant assisté, au sein l’association Emmaüs Connect, à des cours pour apprendre à s’en servir.
“On était trop. Je devais attendre pour avoir une réponse. Les formateurs s’occupaient d’abord des personnes qui maîtrisaient un minimum”.
Depuis 2013, la structure lutte pour l’inclusion numérique des populations les plus sensibles. En plus de proposer des formations aux outils, l’association met à disposition des téléphones et de recharges solidaires sur Paris et sept autres villes en France. Selon Emmaüs Connect détaille que 20 000 personnes ont déjà bénéficié d’un accompagnement numérique.
Avec la dématérialisation des démarches administratives, avoir un e-mail est un impératif pour s’inscrire à Pôle Emploi ou demander le RSA. Très peu des personnes sans abris accueillies au Busabri ont un téléphone qui permet de les recevoir.
“J’ai ouvert 50 profils Pôle Emploi avec mon mail” ironise Clément.
C’est souvent le travailleur social qui fait l’interface lors des démarches sur les sites internet des organismes.
Le mobile devient un produit de première nécessité
« La majorité des personnes à la rue ont un téléphone basique » explique le travailleur social.
Pour la majorité des personnes interrogées l’essentiel est de pouvoir appeler et être joint. Depuis la disparition des cabines téléphoniques, le portable est devenu le seul moyen d’appeler le 115, numéro du Samu Social. Le coup de fil, souvent interminable, permet d’espérer un lit, pour la nuit, dans un centre d’accueil. Emmanuel, 41 ans est sans domicile fixe depuis quinze jours. Il vient pour la première fois au Busabri. Se procurer un mobile a été un de ses premiers réflexes.
“Pour l’instant, Il n’y a que mon fils, quelques personnes très proches et les organismes d’aide qui ont mon numéro. J’espère qu’ils vont me proposer quelque chose”
Il s’est procuré son téléphone dans un bureau de tabac. Des kits comprenant un appareil et une première recharge sont disponibles à partir de 20€. Pas besoin de compte en banque ou de justificatif pour s’équiper.
Être joignable tout le temps représente une angoisse
À la rue, garder un même numéro de téléphone et avoir de la batterie est vital. Sofiène 30 ans, reste constamment à l’affût d’un appel de son employeur. Le jeune homme, Sans abris depuis deux ans est technicien sécurité incendie sur plusieurs sites en région parisienne. Son employeur peut l’appeler n’importe quand pour lui proposer une mission.
“Quand il me reste presque plus de batterie, je pète un plomb” avoue-t-il.
Des recharges prépayées solidaires lui permettent de maintenir le même numéro.
Quand le téléphone se transforme en fenêtre sur le monde
Le téléphone mobile sert aussi à se divertir.
“Les sans abri utilisent leur téléphone comme tout le monde. Ils conservent des photos, écoutent de la musique avec” détaille Clément.
“Je ne prends pas de photos ou je n’en ai pas dans mon téléphone parce que l’écran n’est pas assez grand et que le téléphone n’a pas assez de pixels” plaisante Eric.
L’homme de 45 ans a le sourire vissé aux lèvres. Il est sans domicile depuis cinq ans. Son Samsung l’accompagne depuis quatre. Il a pour projet de le changer pour un smartphone.
“Un S4 ou un S5 que j’achèterai à la FNAC ou à Darty”
“Je suis fan de huit sports : foot, basket, handball, tennis, hockey sur glace, volley et football américain.”
Cet inconditionnel s’est abonné à des alertes SMS pour suivre les résultats lors des soirs de match. Ses journées sont rythmées par la musique. Le module radio FM de son mobile permet à Eric de connaître les derniers tubes sur les onde. L’homme jovial ne manque pas d’astuce. A défaut de pouvoir acheter des mp3, il a demandé à sa nièce d’enregistrer de la musique avec le micro de son téléphone. En un clic sur une touche de son Samsung, Eric improvise une séance de blind test à l’arrière du bus. Le dernier titre de The Weekend côtoie les classiques de Francis Cabrel et Balavoine. Une poignée de participants s’est rassemblée autour de lui. La fin de matinée se termine en musique.
Extrait de Here me now de Alok & Bruno Martini (feat. Zeeba) joué depuis le portable d’Eric dans le Busabri.